
Frédéric Serrière, conseiller en stratégie pour le marché des seniors depuis 25 ans, fondateur de l’agence Senior Strategic

Qui sont les seniors en France aujourd’hui ? À partir de quand est-on un « senior » ?
J’aime dire que les seniors, ce sont ceux qui ont un an de plus que moi. Et chaque année, je décale d’un an, bien évidemment ! Plus sérieusement, il existe plusieurs définitions du mot « senior », selon les secteurs. Dans le tourisme, on parle souvent des retraités, donc en moyenne à partir de 63 ou 64 ans. À la SNCF, on devient senior à 60 ans, avec la Carte Avantage Senior. Dans le monde du travail, le mot s’applique dès 45 ou 50 ans. En marketing, on vise les 50 ans et plus : en miroir de la fameuse « ménagère de moins de 50 ans ». Enfin, dans la Silver Économie – plus étroite, car elle concerne les produits et services conçus pour les seniors et souvent par eux – on parle plutôt des plus de 70 ou 75 ans. Aujourd’hui, les plus de 60 ans représentent environ 18 millions de personnes en France. Deux grandes générations dominent : les boomers, puis les grands seniors. Et arrivent déjà les premiers représentants de ma génération : la génération X (50-65 ans).
Quel est leur poids dans l’économie française ?
Les 60-75 ans, notamment les plus aisés d’entre eux, ont un mode de consommation proche des 25-60 ans. Les plus de 60 ans consacrent une part importante de leur budget à la santé (ils représentent 57 % des dépenses) et à l’alimentation (53 % des achats alimentaires leur sont attribués), mais cela ne se limite pas à ces deux domaines. Ils sont à l’origine de l’achat d’une voiture neuve sur deux. Ils représentent aussi un tiers des acheteurs de jouets et 70 % des clients des parfumeries de luxe. Pourquoi ce poids ? Notamment parce qu’ils ont, pour l’instant, un niveau de vie moyen plus élevé que la moyenne. Selon l’Insee, les 65 ans et plus perçoivent en moyenne 25 300 € par an – soit presque 1 000 € de plus que le reste de la population.
Quelles sont les aspirations des seniors en France ?
Nos grands-parents voulaient simplement vivre le plus longtemps possible. Les plus de 80 ans aujourd’hui veulent vivre longtemps en bonne santé. Les 65-80 ans veulent eux aussi vivre longtemps en bonne santé pour faire des choses. Mais ce qui émerge, c’est un changement de paradigme, porté par ma génération – la génération X. Nous allons transformer l’image de la retraite. Pourquoi ? Parce qu’on commence à comprendre que la génétique joue un rôle minoritaire dans l’apparition des maladies, y compris cognitives. Le message est simple : une bonne hygiène de vie et un bon environnement peuvent faire la différence. Ma génération est la première à prendre réellement conscience qu’il est encore temps d’agir. C’est un basculement profond dans l’histoire humaine. Cela va concerner tous les secteurs car bien vieillir devient un projet de vie.


Les jeunes seniors sont-ils différents de ceux de la génération précédente ?
Je pense que la valeur de liberté restera un fil rouge entre les boomers et la génération X. Mais la définition change. La liberté, pour nous, ce n’est pas juste « faire plein de choses », c’est pouvoir choisir sa vie. Pouvoir ralentir, bifurquer, changer de rythme, de lieu, de projet. Plusieurs études que nous avons menées en France et en Grande-Bretagne montrent que cette envie de choisir sa trajectoire est profondément ancrée. En revanche, ma génération sera aussi plus exigeante sur l’impact environnemental.
Les véhicules de loisirs vont-ils continuer à se développer ?
Ma réponse est : oui, mais sous deux conditions. La première : intégrer la contrainte environnementale, notamment face aux attentes de la génération X. L’électrification, la sobriété, les usages partagés deviendront centraux. La deuxième : s’adapter à la baisse de revenus et au nombre des futurs retraités. D’un point de vue démographique, la génération X est légèrement moins nombreuse que celle des boomers. Donc, à comportement égal, le marché pourrait être impacté.
« Selon l’Insee, les 65 ans et plus perçoivent en moyenne 25 530 € par an. » Une idée serait d’imaginer des business modèles alliant économie fonctionnelle et économie circulaire. Et ainsi englober l’offre dans un service plus large.
La liberté est-elle encore une valeur phare des seniors ?
Oui, mais elle a changé de forme. Pour les boomers, la liberté arrivait avec la retraite. On arrêtait de travailler, on profitait. C’était une liberté collective, conquise avec le temps.
Pour la génération X, la liberté est plus intime, plus diffuse. Elle ne se trouve pas après le travail, elle se cherche pendant. C’est la liberté de bifurquer, de ralentir, de dire non, de vivre ici ou ailleurs. C’est une liberté négociée, pas acquise. Et surtout, c’est une exigence quotidienne : elle devient une boussole de vie.
Par quelles mesures soutenir le pouvoir d’achat des seniors ?
Prenons le cas concret du secteur des véhicules de loisirs. Une partie des seniors n’a pas des revenus élevés, mais dispose d’un patrimoine immobilier – souvent leur résidence principale. Il existe une solution en cas de difficulté pour financer l’achat de son véhicule de loisirs : le prêt viager hypothécaire. Cela permet d’obtenir une somme d’argent en contrepartie d’une part de la valeur de leur logement. Peu connu en France, ce mécanisme est bien plus développé dans les pays anglo-saxons. Demain, les constructeurs pourraient intégrer ce mode de financement dans leur offre. C’est un levier de croissance fort, car plus de 75 % des plus de 60 ans sont propriétaires. Sans solution nouvelle, la baisse des pensions limitera progressivement l’accès à ce type de loisir pour beaucoup de seniors.